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Une candidature collective à la présidence du HCERES

Mis à jour le 26 février 2020

En réaction à la candidature du conseiller recherche d’Emmanuel Macron, Thierry Coulhon, à la présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) annoncée récemment, plus de 2500 chercheur·eus·e·s annoncent faire acte de candidature collectivement à la tête de l’autorité administrative indépendante chargée de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche publique.

L’initiative, portée par le collectif RogueESR mais dont un regroupement de chercheur·euse·s beaucoup plus large s’est emparée, se veut une réappropriation par les actrices et acteurs de la recherche de l’évaluation de leur travail. Toutes les disciplines (ou presque ?) de la recherche y sont représentées.

 Une cible, la bureaucratie de l’évaluation de la recherche

Alors que l’avancée de la recherche repose, en principe, sur une évaluation par les pairs , la lettre de motivation collective (que vous pouvez retrouver ci-dessous) dénonce la prise en main par une bureaucratie et revendique l’autonomie des chercheur·euse·s pour évaluer leur travail et leurs structures de travail.

La lettre liste trois conditions nécessaires pour que cette autonomie se réalise : des « financements récurrents […] en rupture avec […] des « appels à projets court-termistes », du temps et une suppression de « la séparation entre des managers de la recherche exerçant le pouvoir, et des chercheurs et universitaires ».

Si la candidature a peu de chance d’aboutir, elle illustre une séparation de plus en plus visible des chercheur·euse·s avec leurs managers. Depuis la loi d’autonomie des universités (LRU) de 2007, la hiérarchie administrative universitaire, qui reste issue en grande majorité des rangs des chercheur·euse·s s’est professionnalisée au risque de se couper des préoccupations des salarié·e·s de la recherche qui travaillent dans les labos.


Lettre de motivation: Défendre l’autonomie de la recherche et des formations

C’est peu dire que les réformes de notre système de recherche menées depuis quinze ans au nom de l’excellence n’ont pas eu l’effet escompté. Ambitionnant de renforcer le statut de puissance scientifique de la France, elles n’ont mené qu’au décrochage de la part française des publications mondiales, l’indicateur de performance choisi par les réformateurs eux-mêmes. Il n’y a pas à s’étonner : l’évaluation statistique des politiques publiques montre que la quantité de publications scientifiques est proportionnelle à l’argent investi dans la recherche, mais qu’elle est pratiquement insensible aux réformes structurelles. Or pendant ces quinze ans, l’effort financier s’est focalisé sur une niche fiscale, le Crédit d’Impôt Recherche, destinée à contourner l’interdiction européenne des aides publiques directes aux entreprises. L’évaluation faite par France Stratégie de son intérêt pour la recherche est sans appel : son effet de levier sur l’investissement privé est… négatif.

Les réorganisations de l’Université et de la recherche ont aussi des effets systémiques profonds, mais qui ne sont observables que si l’on s’intéresse au savoir produit et transmis plutôt qu’au dénombrement bibliométrique. Les réformes structurelles ont conduit à une chute de la qualité et du niveau d’exigence de la production scientifique, dont les multiples scandales de fraude ne sont que la partie apparente. Cette crise institutionnelle du monde savant est d’autant plus dramatique qu’elle survient dans une phase de crise sociale, climatique et démocratique dont la résolution passe par la production, la transmission, la critique et la conservation des savoirs.

Parce qu’elle se fonde sur la poursuite de la vérité comme horizon commun, la science suppose l’autonomie des savants, chercheurs et universitaires, vis-à-vis des pouvoirs dont son exercice dépend, qu’ils soient politiques, économiques ou religieux. Cette liberté académique ne doit pas être pensée comme une absence d’entraves mais comme une liberté positive, garantie par des moyens effectifs. Le sursaut passe par la réaffirmation des conditions pratiques de cette autonomie.

La première condition est budgétaire : pour encourager l’inventivité et la création, il est indispensable de doter la recherche de financements récurrents, en rupture avec le formatage bureaucratique de la science par des “appels à projets” court-termistes, qui encouragent le conformisme et la recherche incrémentale.

La deuxième condition tient à cette autre ressource préalable à la recherche : le temps. Pour maintenir la biodiversité nécessaire à un écosystème de recherche florissant, il est nécessaire de garantir statutairement la possibilité du temps long. La sélection spencérienne promue en haut lieu, faite de fragmentation et de contractualisation généralisée des statuts, tue cette diversité et entretient la crise qualitative. La solution passe par un recrutement de qualité lié à des postes pérennes, condition de l’attractivité pour les jeunes chercheurs comme pour les personnels techniques, de sorte à irriguer sans cesse le système d’idées et d’aspirations nouvelles.

La troisième condition est une division minimale du travail savant, ce qui exclut la séparation entre des managers de la recherche exerçant le pouvoir, et des chercheurs et universitaires dépossédés et devenus de simples exécutants, séparation qui constitue la définition stricte d’une bureaucratie. Il est indispensable de procéder à un audit des structures empilées depuis quinze ans et au chiffrage de leur coût de fonctionnement afin de libérer des moyens en supprimant des strates inutiles, voire nuisibles.

Sur le plan des pratiques, l’exigence et l’originalité des travaux scientifiques sont garanties depuis des siècles par une norme, celle de la controverse collégiale (la disputatio des classiques) : la discussion contradictoire et libre au sein de la communauté des pairs. Ce principe de gratification sociale fondée sur la reconnaissance de la valeur intellectuelle des travaux est irréductible à une “évaluation” managériale dont les fondements reposent sur un système de normes quantitatives externes, déterminées par les intérêts d’investisseurs : toute métrique normative cesse vite d’être une simple mesure pour devenir elle-même l’objectif à atteindre. Obligation doit donc être faite à tout comité de suivi, de recrutement ou de promotion de baser ses délibérations sur la lecture des travaux, et non sur l’évaluation quantitative. Le nombre de travaux soumis à examen doit donc être limité drastiquement.

L’autonomie du monde savant nécessite enfin de ré-instituer des normes de probation scientifiques exigeantes, prenant en compte les spécificités contemporaines. Il est urgent de restituer aux communautés de chercheurs le contrôle des revues scientifiques, et de destituer l’oligopole de l’édition sur lequel se fondent techniquement et économiquement les politiques d’évaluation actuelles.

Pour procéder à ces réformes, nous nous portons candidats à la présidence de l’institution en charge de définir les normes et les procédures qui régulent, organisent et déterminent la production savante : le HCERES. Notre candidature collective vise à renouer avec les principes d’autonomie et de responsabilité des savants qui fondent la science. Il ne saurait y avoir d’administration distincte dotée d’un « président » pour superviser ces pratiques : c’est l’ensemble du corps savant qui doit présider à l’évaluation qualitative de sa production.

Sans recherche autonome, nous n’avons pas d’avenir


Image illustrative : Lots of Lego Minifigures by Ninja Brick,en licence Creative Commons by

5 Commentaires

  1. Duvauchelle Duvauchelle 21 janvier 2020

    Très bonne initiative

  2. Aubert Aubert 29 janvier 2020

    Entièrement d’accord avec vous. Tenez bon.

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